8 novembre 2007

Un autre faux débat sur la piètre qualité du français...

Bon, ça y'est, y doit pas y avoir des nouvelles intéressantes ces temps-ci pour les journaux, puisqu'on revient encore sur la piètre qualité du français de nos jeunes au secondaire... messemble qu'on en entend souvent parler hein ?

Je me permets une petite digression historique pour répondre à l'article de Katia Gagnon de la Presse, pour peut-être apporter un éclairage différent sur le phénomène... Il me semble que ça remets les choses en perspective, mais je vous laisse en juger par vous-même.

J'ai eu la chance d'avoir un cours de l'histoire de la langue française durant mes années de baccalauréat à l'Université Laval, avec un certain M. Lionel Boisvert, excellent professeur qui m'a appris énormément de choses fort intéressantes qui ont changé mon point de vue sur cet éternel débat.

C'est très drôle ces histoires sur la mauvaise orthographe de nos élèves, car elles reviennent en moyenne à chaque 10 ans dans les journaux francophones. Ça fait 200 ans qu'on reproche aux jeunes générations que leur français est bâclé. En effet, si on fouille dans les archives de journaux, on voit la même "crise" se répéter à chaque dizaine d'années environs, et à chaque fois on dit que c'est pire que précédemment.

Pourquoi les gens en général, et pas seulement les élèves du secondaire ont de la difficulté en français ? Parce que les normes de la langue françaises ont été établies sur des bases élitistes visant à éloigner la population paysanne des fonctions publiques, en compliquant énormément la langue pour rien. Comparativement à l'anglais ou à l'espagnol, où l'orthographe est beaucoup phonétique, le français a énormément de particularités qui en font une langue difficile à maîtriser au niveau orthographique, et demande de la mémoire comme plusieurs linguistes le mentionnent.

Des exemples ? Y'en a plein pour la grammaire et l'orthographe, qui n'ont pas de sens, pas de logique, pas de fondement, sauf des décisions d'hurluberlus :
- Cheval/Chevaux
- Genou/Genoux (Merci Charles pour ta contribution !)
- Je comprenDS (ça s'écrit pas comme ça se prononce hein ??)
- Poids


Un autre problème est que contrairement à des langues comme l'espagnol ou l'anglais, il y a un ÉNORME fossé entre la langue parlée et la langue écrite en français, car la norme n'a pas su évoluer avec l'usage. Elle a été fixée au 17ème siècle et on a eu peine et misère à la faire changer (les Français refusent encore de féminiser les noms de profession, imaginez !!)

Au 17ème siècle, lorsque les normes de la langue française ont été mises sur pied, par Malherbe et Vaugelas, entre autres, on a codifié le français de l'élite. La norme ne prenait pas en considération l'usage réel de la langue, et elle était plutôt dictée par les phobies d'une petite caste d'élites (tous les mots "bas", les mots du peuple, qui "sentaient la sueur" étaient rejetés de la norme).

Tout de même, au 17ème siècle, la norme était basée sur le langage parlé - par une minorité, bien sûr, mais parlé quand même - le langage vivant de l'époque. Par la suite, on a gardé cette norme là en pensant qu'on avait atteint le stade de la perfection, le stade ultime, l'idéal de la langue française, qu'on a conservé jusqu'à aujourd'hui. C'est là le danger, c'est à partir de ce moment critique qu'on va se refuser à faire évoluer la norme, ce qui explique qu'il y a un énorme fossé entre la langue parlée et la langue écrite, car le français écrit n'a pas su évoluer, contrairement à des langues comme l'anglais où l'oral est très près de l'écrit. Ça amène évidemment son lot de problèmes.

En 1830 en France, on a décrêté que la connaissance de l'orthographe française était obligatoire pour obtenir un poste public, et ça traduit l'idéologie véhiculée à l'époque que la connaissance d'une langue implique obligatoirement une maîtrise de l'orthographe, orthographe très "manipulé" par une élite capricieuse et refusant de faire évoluer la norme pour réfléter une langue qui, étant vivante, change nécessairement avec le temps.

La grammaire française est aussi une grosse blague. Quelqu'un peut m'expliquer rationnellement pourquoi on écrit "Les enfants que j'ai vuS", mais qu'on écrit "J'ai vu des enfants" ? Ça n'a aucun fondement, aucune logique, ce n'est que de l'émulation des grands auteurs du 17ème siècle. On a simplement sacralisé la grammaire et l'orthographe malgré des résistances pour une simplification dès le 16ème siècle. Pourquoi ? Parce que la maîtrise de la langue française servait (et sert encore souvent, malheureusement, dans un nouveau contexte) à différencier les instruits des paysans, et la bourgeoisie s'en servait pour empêcher l'accession du "bon peuple" à la fonction publique, et nécessairement pour l'empêcher de se rapprocher du pouvoir.

Ok, ça commence à être pas mal long, je vais me calmer. Je concède que des améliorations peuvent sûrement être apportées au système d'éducation, mais nos enseignants ne sont pas des crétins non plus. Moi aussi le langage texto, ça m'énarve. Moi aussi j'ai un préjugé sur le monde qui écrivent tout croche, malgré ce que je viens de reconnaître... Mais force est de constater que la langue française a toujours été et sera toujours un problème au niveau de l'écrit en raison de son conservatisme et de son élitisme. Ne pas maîtriser l'orthographe et la grammaire, ce n'est pas d'être un taré, c'est une question de mémoire, et on a peu de contrôle là-dessus. C'est dommage parce qu'évidemment, on a toujours un préjugé défavorable lorsqu'on lit un texte truffé de fautes, mais pourtant ça n'enlève rien à la valeur du contenu. Les anglophones et les hispanophones n'ont pas du tout ce problème, parce que leur langue est plus près de ce qui se parle vraiment, elle a su évoluer et se simplifier.

Donc, soit qu'on réforme la langue française pour qu'elle ait du sens, ou bien on arrête de revenir sur ça à chaque 10 ans, parce que c'est un faux-débat.

Voilà mon *très long* point de vue.

Ah oui, fait intéressant. Saviez-vous que Louis XIV, quand il parlait, il prononçait "LE ROUÉ, C'EST MOUÉ", pour dire "Le Roi c'est Moi" ? :) Pensez-y... Beeep !

6 commentaires:

Anonyme a dit...

Un sujet fort intéressant que j'ai abordé à de nombreuses reprises avec mon professeur de maitrise. L'une des plus grandes difficultés de la langue française réside dans l'usage du genre pour les objets inanimés, les idées, ce que l'on ne retrouve pas par exemple en anglais. Pourquoi "une table" et "un meuble"? Cet objet est-il masculin ou féminin? Plusieurs gens apprenant le français comme langue seconde (ou plus) ont toujours de la misère des années plus tard à identifier le genre des objets, ce qui rend la langue très difficile à apprendre, et hostile aux nouveaux pratiquants.

On se demande pourquoi les nouveaux arrivants au Québec décident d'apprendre l'anglais plutôt que le français? La réponse est simple: en plus de leur permettre de communiquer avec 9 provinces sur 10, avec les américains, avec les gens sur Internet en général de même qu'avec toute personne faisant des affaires (car l'anglais demeure la langue des affaires), la langue anglaise est également beaucoup plus simple à apprendre.

La simplification de la langue n'est pas qu'une question d'orthographe et de grammaire pour ceux qui la pratiquent, c'est aussi une question de survie. Car une langue qui cesse d'évoluer, c'est une langue qui commence à mourrir...

Tommy a dit...

Merci pour ton commentaire Pascal !

Je crois que tu touches un point intéressant lorsque tu parles des genres, mais que c'est moins particulier à la langue française et que ça ne cause pas de problèmes pour les gens qui ont le français comme langue maternelle. L'usage des genres pour les objets et les concepts est un phénomène répandu à plusieurs autres langues, dont toutes les langues d'origine romane (espagnol, italien, portugais, roumain), les langues slaves, et mêmes les langues germaniques (quoique l'anglais a éliminé ce phénomène, en effet).

Cela présente néanmoins une certaine difficulté pour les étrangers ou immigrants qui veulent apprendre le français mais qui ne distinguent pas les genres, comme dans plusieurs langues asiatiques par exemple. Mais ça ne cause pas de problèmes à la population francophone. Ça pourrait tout de même faire place à un autre débat intéressant ! (Que dire de l'allemand ou du russe qui ont le troisième genre, soit le neutre, ou des tonnes de déclinaisons qui affectent la terminaison des sujets et compléments, sinon que ça en rebute plus d'un !)

Je ne peux que te donner raison lorsque tu mentionnes que les nouveaux arrivants sont portés à apprendre l'anglais plutôt que le français, c'est un choix (malheureusement) très rationnel : Souvent ils ont déjà une base d'anglais, et c'est évidemment beaucoup plus simple. Même logique pour l'enseignement du français dans le Canada anglais. Soyons honnêtes : outre le possible intérêt pour la culture francophone (qu'on ne peut vraiment imposer), "Ça leur sert à quoi ?", sauf d'encourager ce grand mythe du Canada bilingue ? Certains sont mieux d'apprendre le mandarin, particulièrement au BC et en Alberta, où c'est beaucoup plus pertinent.

En ce qui concerne les réformes, sur lesquelles on semble avoir une opinion semblable, je dirais ceci : La langue française n'a pas cessé d'évoluer depuis le 17ème siècle (contrairement à ce que j'avais laissé entendre dans mon article original), car le lexique s'est élargit pour faire face au contexte de la révolution industrielle, la révolution technologique, etc. Ainsi, c'est, selon moi, vraiment son conservatisme et son élitisme en ce qui a trait à sa grammaire et son orthographe qui demeure l'essentiel du problème. Je n'ai donc pas peur que le français s'éteigne, puisqu'il est bien établi au niveau géographique et qu'il a plein de belles couleurs québécoises, belges, africaines, même vietnamiennes !

Mais oui, au niveau de son adaptation à la réalité orale d'aujourd'hui, le français, s'il n'est pas mort, sent à tout le moins un peu la charogne ;)

Anonyme a dit...

Bonjour Tommy. Il est vrai que les règles du français écrit ont en effet été fixées par les élites pour protéger leurs privilèges. Mais il n'y avait pas que les règles qui servaient cet objectif.

En tant qu'étudiant en histoire, j'ai eu à lire des textes remontant aux XVIIe et XVIIIe siècles. Je me suis souvent demandé pourquoi les gens de cette époque écrivaient aussi mal: pattes de mouches, lettres mal formées, nombreuses abbréviations. J'ai découvert que les notaires et autre officiels étaient volontairement illisibles. C'était une façon de garder le monopole de l'écriture et ainsi de protéger leurs "jobs". Seul un notaire pouvait comprendre l'écriture d'un autre notaire...

Pour ce qui est de l'accord du participe passé, la règle a une explication "logique" ou du moin historique. Les moines, qui écrivaient tout au Moyen-Âge, avaient de longues manches et utilisaient l'encre. Revenir en arrière pour accorder le verbe, quand le complément est situé après celui-ci, voulait dire trainer sa manche dans l'encre. Si le verbe est placé après le complément, on peut l'accorder sans revenir en arrière. C'est aussi simple (et aussi con) que ça...

Pour terminer, oui le féminin existe en espagnol ou en russe. Mais dans ces deux langues, ils ont l'intelligence de faire terminer les mots féminins par le son "A". Ça simplifie les choses, non?

Emmanuel Simard a dit...

Exsellant texte Tommy et bonne annalise ! :)

Par contre, j'ajouterais qu'en plus d'avoir une bonne mémoire, il est important d'avoir une réelle volonté de maîtriser la langue française. C'est peut-être là qu'est le problème.

Nos jeunes se rendent bien compte que leur piètre connaissance de la langue ne les empêche pas du tout de se faire comprendre de leurs pairs. Regarder un peu les conversations MSN des plus jeunes. L'autre fois je regardais mon petit cousin de 12 ans écrire à un de ses amis, ouff, je n'y comprenais absolument rien. Pourtant, son message avait l'air clair pour lui qui le recevait. En plus, nos jeunes réussissent à progresser aisément dans notre système d'éducation sans qu'ils aient à se forcer pour maîtriser la langue parfaitement. Dans ces circonstances, le bénéfice de bien écrire le français n'est peut-être pas assez grand pour l'effort requis.

Je ne nierai certainement pas que le français est souvent compliqué pour rien. Cependant, il l'était pour nos parents comme pour nos grands-parents et ils l'ont appris quasiment parfaitement quand même. (Ma grand-mère à une 4e année et écrite probablement mieux que moi) Je ne vois pas pourquoi on ne serait pas capable d'en faire autant

Pour terminer, je suis bien d'accord avec Charles qui dit que les nouveaux arrivants sont (malheureusement) beaucoup plus intéressés à apprendre l'anglais que le français pour des raisons pratiques, mais aussi parce que l'anglais est plus simple. C'est pour ça qu'il est essentiel pour le Québec de favoriser au maximum la francisation des nouveaux arrivants si nous voulons faire survivre cette langue en Amérique le plus longtemps possible.

Renart Léveillé a dit...

Très instructif ce texte, et merci à Emmanuel Simard de m'y avoir par hyperlien amené! Hé hé!

Unknown a dit...

S'il y a des différences entre le singulier et le pluriel (cheval/chevaux), c'est bien évidemment pour des raisons historiques d'évolution de la langue. Pour ceux qui ont fait de l'ancien français, il y a tout un tas de raisons d'ordre phonétique qui expliquent l'évolution des conjugaisons (je vais, nous allons, nous irons par exemple). Je pense que tu simplifies trop en disant que tout est à cause d'illuminés qui ont voulu compliquer la langue française. Si le français est difficile en ce qui concerne l'orthographe, l'allemand l'est tout autant avec ses déclinaisons. A chaque langue ses difficultés !